La vénérable 30-30 jouit d'un incontestable statut de vedette, Comme toutes les stars, elle a ses inconditionnels et ses détracteurs, tout aussi acharnés les uns que les autres.
Plus d'un siècle après son apparition sur le marché, qu'en est-il aujourd'hui ? Comme tout le monde ne le sait peut être pas, les premiers exemplaires de la légendaire carabine Winchester modèle 1 894 ne furent pas chambrés pour la 30-30 mais pour des munitions beaucoup plus traditionnelles comme la 32-40, la 38-55 ou encore la 25-35, alors très populaires aux états Unis, utilisant toutes la poudre noire.
Ce n'est qu'un an après son apparition très remarquée que la carabine fut adaptée au tir de la toute nouvelle 30-30 : première cartouche civile US utilisant de la poudre pyroxilée dite "sans fumée" par opposition à la bonne vieille poudre noire qui, justement, en faisait beaucoup !
Malgré son calibre très faible pour l'époque (30"
soit 7,62 mm nominal), la munition ne tarda pas à s'imposer.
Son projectile relativement léger, ne pesant "que" 10,3g propulsé
par une charge de 30 grains (soit 1,95g) quittait l'arme à la vitesse
initiale de 600 m/s. Délivrant une énergie de 1800
joules environ, la petite 30', malgré la petitesse de son projectile
(selon les critères de cette époque), se révéla
vite comme une très dangereuse rivale des grosses cartouches chargées
à la poudre noire tirant de lourdes balles de fort calibre à
une vitesse sensiblement moins élevée, développant
de ce fait une énergie comparable.
A titre d'exemple, la fameuse 45-70 avec sa balle de 500 grains atteignait
péniblement la vitesse initiale de 4OOm/s, soit une énergie
de 2580 joules "seulement", alors qu'elle jouissait du titre enviable et
partiellement mérité de munition "standard" la plus puissante
d'Amérique du Nord.
Autant dire que les cartouches à poudre noire de calibre intermédiaire
étaient larguées par la nouvelle venue ! La 38-40 ne développait
à la bouche que 880 joules, tout comme les 44-40 les plus gaillardes...
Même la légendaire 32 - 40 Winchester apparue en 1884
atteignait tout juste 860 joules en sortie de canon, soit presque la moitié
de l'énergie cinétique de la 30-30 !
Il fut tout de suite évident pour les utilisateurs d'armes d'épaule qu'une nouvelle ère venait de s'ouvrir: celle des munitions de 'petit' calibre, capables d'atteindre des vitesses élevées grâce à l'emploi de poudres modernes proposées par l'industrie chimique.
30-30 ET WINCHESTER 94
L'image de marque de la 30-30 est indissociable de la carabine Winchester
Model 1894. Un siècle plus tard, le couple fonctionne toujours
aussi bien. Réfléchissez : quel que soit votre âge,
la Winchester (et sa cartouche) n'ont-elles pas figuré dans les
toutes premières places de votre hit-parade personnel en matière
d'armes d'épaule ?
J'en étais sur ! Vous aussi avez craqué (ou simplement
failli craquer) !
Mais reconnaissez qu'un jour ou l'autre, vous avez ressenti comme une
fringale de 30-30. Tout ceci est bien naturel après tout ! Comment
un amateur d'armes normalement constitué pourrait-il rester indifférent
aux charmes innombrables et à le douce voix des armes Western et
à leurs munitions ? Autant demander à un motard de détester
les Norton, à un fou de voitures de bouder les Morgan, que sais-je
encore ? C'est tout simplement inconcevable ! Et justement, notre bonne
vieille 30-30 se trouve au centre de cet extraordinaire phénomène
de dimension planétaire. Pour reprendre l'excellent slogan de Winchester,
je dirai que plus qu'une cartouche, c'est une légende américaine
!
Mais voilà, le temps à fait son œuvre : le progrès
est passé par là. Dans l'incroyable profusion de munitions
pour armes longues s'offrant aujourd'hui au tireur, la 30-30 a-t-elle encore
sa place sur le marché ? Faut-il au contraire la ranger dans la
catégorie des fossiles ne résistant aux lois de l'évolution
que pour satisfaire le besoin de folklore de certains passionnés
nostalgiques d'une époque révolue et disons le tout net,
franchement rétrogrades ?
La vocation première de la 30-30 était d'être une
munition strictement utilitaire et polyvalente, aussi efficace pour la
chasse que pour la défense. Pour autant que nous puissions en juger
et si nous nous appuyons sur l'immense succès commercial remporté
par les armes chambrées pour ce calibre dès son apparition
sur le marché, la cartouche était très appréciée
par nos anciens qui s'acquittaient parfaitement de cette double mission.
Grâce à elle, la totalité des moyens gibiers américaine,
européens et africains pouvaient être abattus à courte
et moyenne distance, dans des conditions très satisfaisantes de
netteté. Ne perdons pas de vue que les 30-30 "d'époque" étaient
sensiblement moins puissantes que certaines de leurs descendantes modernes
! L'on connaît pourtant quelques "grands chasseurs blancs" du début
de ce siècle qui ne craignaient pas d'affronter les gros gibiers
les plus dangereux des cinq continents, simplement armés de leur
Winchester ou de leur Marlin en 30-30 mais il faut bien admettre
qu'à cette époque déjà, ils faisaient figure
d'originaux...
Or, en un siècle, l'anatomie et la résistance aux projectiles
des daims, antilopes, sangliers et autres petits cervidés en tout
genre n'ont guère évolué !
En revanche, la 30-30 à subi diverses cures de jouvence, au
point que certaines versions actuelles développent une énergie
à la bouche sensiblement plus élevée que leurs ancêtres.
Les heureux propriétaires de carabines anciennes chambrées
pour cette munition doivent d'ailleurs être attentifs au choix de
leurs cartouches s'ils ne veulent pas risquer d'endommager leur arme.
Pour éviter tout problème, mieux vaut confectionner soi-même
ses cartouches en veillant à ce que les charges soient "douces"
et en utilisant de préférence des balles non chemisées.
Bien sûr, malgré ses rajeunissements successifs, notre
30-30 ne peut pas prétendre à rivaliser avec les munitions
Modernes de calibre comparable comme la 308 Winchester, la 30-06 ( toutes
deux classées en première catégorie par la réglementation
française) et autres 300 Winchester Magnum ou Holland & Holland.
Néanmoins, les plus "pêchues" des cartouches d'usine expédient quand même leurs pointes de 11 grammes à une vitesse initiale proche de 800 mètres par seconde, délivrant ainsi une énergie cinétique que j'oserai qualifier de respectable, surtout si l'on précise qu'à 100 mètres, la vitesse du projectile atteint encore les 600 m/s, garantissant un tir assez tendu. Il est vrai qu'au delà, la 30-30 a un peu tendance à s'effondrer...
TENDANCE A LA SURPENETRATION
Même si les écarts théoriques semblent importants,
n'oublions pas qu'ils ne donnent qu'une vision très imparfaite de
la réalité. L'évaluation des performances réelles
d'une munition est un art subtil et délicat faisant entrer en jeu
de très nombreux paramètres, bien au-delà des seules
vitesses de déplacement, du poids du projectile.
Sa forme, son diamètre, sa densité, sa composition vont
influer directement sur les résultats au tir comme à la chasse.
Chasser avec des munitions très puissantes dont la vitesse de
déplacement des balles dans l'air est phénoménale,
c'est très bien, à condition de savoir à quels gibiers
ces projectiles sont destinés. Les chasseurs avisés connaissent
bien le redoutable problème de la surpénétration.
On ne tire pas le buffle du Cap avec la même cartouche que le
chevreuil! Ce qui est nécessaire pour descendre le premier
"dans ses traces" sera très largement excessif pour le second.
Bien sur, notre infortuné chevreuil va y perdre la vie : il n'y a pas à discuter sur ce point. Mais une partie de la bête sera probablement très endommagée et... quid de la balle? Où est-elle passée? Eh bien, elle a traversé notre gracieuse cible sans même sien apercevoir et a tranquillement continué sa course à la vitesse d'un bolide sur plusieurs centaines de mètres avant de s'arrêter l'on ne sait où...
Au final, le petit chevreuil est mort mais la balle fatale ne lui a cédé qu'une part dérisoire de son énergie. Alors, était-ce vraiment la peine de le tirer avec un tel obus ? Quant au projectile, je préfère pudiquement ne pas épiloguer sur les dangers qu'il peut présenter pour ... l'environnement...
Or, cette même tendance à la surpènétration
existe avec les munitions modernes de petit calibre.
Sur le papier, une 30-30 actuelle vaut à peu près 2400
joules, mais sa vitesse est modérée et le poids de la balle
ainsi que sa section, sont assez conséquents. Elle s'arrêtera
plus facilement dans la bête libérant toute son énergie
à l'intérieur de l'animal. En théorie, la même
puissance peut être obtenue avec des munitions modernes de petit
calibre (5,5 ou 6mm) telles que le 222 et le 223 Remington, le 222 Remington
Magnum ou encore le 243 Winchester. Mais, attention! ces balles de faible
diamètre sont Les munitions présentant très légères
( entre 3,5 et 6 g dans la plu part des cas) et quitteront l'arme à
plus de 1000m/s. Pour peu que la chemise soit résistante,
nous risquons de nous trouver confrontés aux mêmes difficultés
qu'avec notre obus de tout à l'heure.
En outre, pas question d'utiliser des balles coulées à
partir d'un alliage à base de plomb: elles supportent mal les vitesses
très élevées dont sont capables ces munitions 'modernes'
et encrasseraient trop vite les canons.
J'admets que mon exemple du chevreuil est un peu "limite" (bien que certains chasseurs n'hésitent pas à le tirer à moyenne distance à la 300 Winchester Magnum!) Mais ce raisonnement peut être transposé à la chasse de tous les gibiers de gabarit moyen, en tenant compte de leur poids, de leur résistance, de leur vivacité, mais aussi de la nature du terrain et de la distance de tir prévisible.
Le sanglier n'est pas le même partout. Entre les monstres de l'Est dépassant allègrement les 120 kg et leurs cousins du Sud qui sont souvent deux fois moins lourds, il y a un monde! Il est bien évident que les uns et les autres ne "demandent" pas à être tirés avec la même munition!
Dans les sous bois denses ou le maquis, les distances de tir sont généralement très courtes, dépassant rarement les 50 mètres. C'est le "biotope' de la 30-30. Elle s'y montre redoutable d'efficacité d'autant que la plupart des carabines destinées à cette cartouche sont courtes et maniables.
En Fait, tous les témoignages concordent pour montrer que jusqu'à 100 mètres (et peut être un peu plus), la 30-30 est une excellente munition n'ayant rien à envier en termes d'efficacité, aux cartouches plus modernes.
LE RECHARGEMENT
Mais, c'est au niveau du rechargement que cette vénérable 30 WCF (autre dénomination de la 30-30) dévoile tout son extraordinaire potentiel !
Bien que des exceptions existent, toutes les cartouches modernes n'offrent pas une très grande diversité de pointes utilisables par le rechargeur amateur. Avec la 30-30, c'est presque la situation inverse que nous observons!
L'on ne compte plus le nombre de moules en calibre 30 proposés par les fabricants qui prennent soin d'intégrer à leur gomme des "Flat nose' (FN) spécialement destinées aux carabines à levier de sous-garde et magasin tubulaire. L'éventail de poids des balles est également très ouvert: bref, il y en a vraiment pour tous les goûts! Quant aux balles chemisées produites en usine, elles sont légion! Bien entendu, si la munition est destinée à être tirée à partir d'une arme à magasin tubulaire, les balles pointues seront à proscrire impérativement pour d'évidentes raisons de sécurité. Les fabricants spécialisés ne proposent d'ailleurs aucune cartouche de 30-30 possédant une balle ogivale, qu'elle soit chemisée ou simplement coulée, ceci afin d'éviter tout malentendu dont les conséquences pourraient être désastreuses.
Dans ce type d'armes, seules des flat nose seront employées afin
que les pointes des projectiles ne risquent pas les pointes des projectiles
ne risquent pas de percuter accidentellement l'amorce de la cartouche au
contact de laquelle elles se trouvent.
Si vous rechargez, vous pourrez vous fabriquer des 30 30 à balles
ogivales. A poids égal, elles sont 15% plus rapides que les
flat nose. Mais attention : pas question de les loger dans le magasin
de votre Winchester ou de votre Marlin : ce serait vraiment trop dangereux.
Mais qui vous empêche de tirer au coup par coup en laissant tomber
le magasin ? Essayez et vous verrez que la vitesse de rechargement n'est
pas si ridicule...
Correctement chargée, la 30-30 à balle chemisée
'pointue' peut devenir une intéressante munition de tir ou d'affût.
Pour le tireur-rechargeur 'éclairé', la 30-30 est un pur régal! Comme je l'indiquais, le choix de moules et de balles est énorme, la fourchette de poids extrêmement large. Quant aux poudres, notre cartouche n'est pas très regardante! Tubal 3000 ou 5000, SP7, BA6 ou BA9, les possibilités et les combinaisons de rechargement ne manquent pas. Avec des balles coulées de 150gr (9,7 g) propulsées par une charge de 1,35g de Tubal 3000 avec bourrage au kapok, c'est un délice ! Juste ce qu'il faut de recul pour sentir vivre l'arme entre vos bras sans jamais se faire mal, une précision remarquable et la joie de se livrer à des séances de tir interminables sans avoir a se soucier des basses questions matérielles. Faites vos comptes: chaque cartouche vous coûte une bouchée de pain sachant qu'avec de tels dosages, les étuis (par ailleurs très bon marché) deviendront miraculeusement inusables.
Eh oui, c'est cela aussi la 30-30 : une munition peu onéreuse à l'achat dont le prix devient dérisoire pour les rechargeurs prenant soin de couler leurs balles. Qui peut en dire autant ? Certainement pas les adeptes des magnums surpuissants ne supportant que les balles chemisées les plus ruineuses!
Les balles chemisées de calibre 30 fabriquées industriellement
sont légion. Attention cependant, toutes ne sont pas utilisables
dans les armes à magasin tubulaire où les cartouches sont
logées l'une derrière l'autre, pointe contre amorce.
Les versions 'pointues' seront alors à écarter impérativement,
sauf si l'arme est utilisée au coup par coup uniquement, sans jamais
garnir le magasin.
Si leur épaule tient ( à peu près ) le coup, c'est
le portefeuille qui capitule le premier après le tir d'une vingtaine
de cartouches dans le meilleur des cas.
Si vous recherchez les sensations fortes, sachez qu'en la poussant
dans ses derniers retranchements, la vieille 30-30 peut encore vous 'secouer'...
LE TIR SPORTIF
Il y a un autre créneau dans lequel cette munition se montre
particulièrement à son aise : c'est le tir sportif.
Et pourtant, au départ elle n'avait pas du tout été
conçue pour cet usage singulier.
Certes, elle fait moins de bruit et casse moins de clavicules que les
splendides magnums, grands dévoreurs de poudre de calibre comparable,
qui vous traversent la cible de papier cartonné épaisse d'un
bon millimètre, avec une aisance admirable, mais quelle souplesse...
Mais, me direz vous, la 30-30 n'a jamais été précise!
Erreur! Enorme erreur! La munition est intrinsèquement performante.
En revanche, ce sont souvent les armes destinées à la tirer
qui ne possèdent pas un excellent potentiel à ce niveau là,
en raison de leurs organes de visée quelque peu rudimentaires.
Une fois ce défaut corrigé, d'excellents scores peuvent être
atteints.
La preuve nous en est apportée par les armes réglementaires recanonées ou rechambrées pour la 30-30, ainsi que par les armes de tir ou de chasse n'utilisant pas de magasin tubulaire, comme les anciennes carabines Husqvarna.
Toutes ces pièces, si elles sont convenablement réglées peuvent réaliser des groupements qui n'ont rien à envier à ceux des carabines modernes utilisant une visée ouverte. Inversement, l'emploi d'une lunette de visée permet de mettre en évidence la bonne précision de la 30-30. Elle n'est pas une munition de bench rest pour autant, mais jusqu'à 100 mètres, elle peut tenir la dragée haute à bien des rivales...
Croyez vous que les amateurs de pistolets de tir à longue distance comme les Remington ou les T. C. Contender continueraient à l'utiliser si la 30-30 n'était pas à la hauteur? La réponse est non, bien entendu: ces tireurs sont parmi les plus exigeants que l'on puisse rencontrer !
Sans être passéiste, l'on peut dire que la 30-30 a été et demeure aujourd'hui encore, une grande Dame, parfaitement à son aise en toutes circonstances, qu'il s'agisse de la chasse, du tir ou de la défense. Bien sûr, il n'est pas question pour elle de rivaliser avec les cartouches modernes les plus high tech, capables de développer une énergie incomparablement supérieure. Mais au Fond, cette débauche de puissance est elle toujours nécessaire, voire utile, tout simplement? Pas si sûr!
La 30-30 a ses limites, nous le savons tous, mais elles sont moins faciles
à atteindre qu'on ne le croit généralement.
Chargée d'histoire, cette gaie centenaire s'est payé
le luxe de rajeunir à plusieurs reprises au cours de sa longue vie.
Le résultat est tout simplement remarquable! Et si vous
deviez n'avoir qu'une seule carabine, pour quelle munition serait elle
chambrée?
Pour ma part, je ne suis pas certain de ma réponse, mais une
chose est sure: la 30-30 ne serait pas écartée a priori.
Elle aurait même tendance à Figurer dans le peloton de
tête...
Certes, elle n'est pas la plus puissante 'sur le papier' mais son rapport
qualité/prix/sensations reste imbattable, surtout si vous rechargez.
En un siècle, la cartouche n'a rien perdu de sa polyvalence et peut encore faire les beaux jours des amateurs de carabines à levier de sous-garde, de fusils militaires "civilisés" ou encore, de pistolets de tir à un coup. Décidément, notre bonne vieille 30-30 peut encore être mise à toutes les sauces!
Didier BIANCHI